« CANNIBALE BACCHANALES »
Tableau réalisé en résidence d’artiste au Centre Culturel André Malraux
de Rouen
Dessin à l’encre sur papier sur le principe des anaglyphes
Une peinture au relief accentué par des lunettes 3D aux filtres rouge et bleu*
Suite à son exposition en 2022, Favarica en 3D, aux ateliers de création d’anaglyphes et à sa résidence d’artiste dans le cadre de l’évènement Automne Curieux dédié aux arts visuels à Rouen, Samuel Favarica poursuit sa résidence artistique au centre André Malraux au cours de l’année 2023.
Le dessin sur papier Cannibale Bacchanales, œuvre de grand format, y est alors réalisé – toujours en convergence avec la vision stéréoscopique – ainsi qu’un film de 33 minutes 30 racontant sa création… Et l’exposition collective Créatures de papier vient clôturer cette résidence.
Vidéo de résidence artistique au centre culturel André Malraux, en 2023 dans le quartier de la Grand’ Mare à Rouen, clôturée par l’exposition collective Créatures de papier.
Lire la vidéo sur YouTube : CANNIBALE BACCHANALES – chronique de résidence – Favarica au centre Malraux, Rouen 2023
Résidence artistique – Partage d’expérience
Le centre culturel André Malraux propose des résidences d’artistes à Rouen
Situé sur les « Hauts‑de‑Rouen » en plein cœur du quartier de la Grand’ Mare, le centre André Malraux prodigue des cours et différents ateliers de peinture, tissage, couture ou céramique – parmi de nombreuses autres animations – et dispose de plusieurs salles prévues à cet effet. Ces activités sont proposées tout au long de l’année et ne sont pas quotidiennes, aussi il reste toujours un atelier disponible, certaines salles étant vacantes en alternance.
La politique du centre Malraux réside dans l’accueil et le partage, le développement de la création, à la faveur de rencontres, d’échanges et de découvertes à destination de tous les publics.
C’est ainsi que Dorothée Paroïelle, chargée de développement des publics auprès de la ville de Rouen pour le centre culturel André Malraux, m’a invité à cette résidence. En février 2022, à l’occasion de l’exposition Matto Mundus à laquelle j’avais participé, Dorothée m’avait proposé d’occuper certaines salles, en fonction de leur disponibilité, pour le prolongement d’un travail personnel. Cette résidence artistique fut suivie par des ateliers et par l’exposition personnelle FAVARICA en 3D clôturant cette première intervention.
Intervention qui fut reconduite en 2023 pour aboutir à l’exposition Créatures de papier.
Cette résidence dans le quartier de la Grand’ Mare m’a permis de faire des rencontres enrichissantes et d’une grande diversité, autant parmi les habitants de tous âges qui fréquentent le centre et ses alentours, que parmi les intervenants. Certains sont devenus des amis.
Or, il m’est arrivé via l’Internet de recevoir quelquefois, parmi d’autres messages au caractère outrancier, les commentaires d’une personne se prétendant « française de souche » qui m’exposait cette double affirmation : « Je ne me déplace jamais sur les Hauts de Rouen car je n’apprécie pas la population qui s’y trouve ». Mais de quoi serait‑il question et comment peut‑on manifester un avis sur ce que l’on ignore, puisque précisément l’on ne se rend jamais dans le quartier ? J’ajoute par ailleurs que cette notion de « souche » est ici particulièrement amusante ; l’expression « rester comme une souche » signifiant justement l’immobilisme.
Cannibale Bacchanales
Cannibale Bacchanales est un anaglyphe, un tableau conçu pour être vu en 3D avec des lunettes composées de filtres de couleurs rouge et cyan – une nuance composée d’un mélange de bleu et de vert – qui, disposés devant chaque œil de l’observateur, produisent l’illusion de relief et de profondeur.
Exploitant la vision binoculaire, ces filtres produisent pour chaque œil une image différente du même dessin, les deux couleurs complémentaires étant tour à tour révélées et dissimulées. Le filtre cyan faisant disparaitre les différentes nuances de cyan présentes sur l’image et inversement pour le rouge.
Le tableau Cannibale Bacchanales est aussi une vanité.
Mesurant 130 centimètres par 195 centimètres, c’est un dessin à l’encre sur papier de grandes dimensions qui pourtant s’inscrit dans la tradition artistique des vanités.
Or les vanités sont couramment de format assez réduit, ayant d’abord un usage intime. En explorant les thèmes de l’éphémère, de la vanité des plaisirs terrestres et de la fragilité de la vie humaine, elles constituent l’exact contraire des œuvres d’art ostentatoires.
Origine, la nature morte selon la hiérarchie académique des genres
Celle‑ci renaît en Italie à partir du XVIe siècle avec l’expression « cose naturali » qui avait été utilisée par Giorgio Vasari pour désigner les motifs peints de Giovanni da Udine, considéré comme le premier peintre moderne de natures mortes.
S’il présente aussi un modèle vivant et n’est donc pas stricto sensu une nature morte, le tableau Cannibale Bacchanales s’attache à explorer le genre artistique de la nature morte qui a connu son apogée au XVIIe siècle, pendant l’époque baroque.
En 1667 en France, l’Académie – attachée à établir une hiérarchie entre les genres – classe en premier lieu la peinture historique, sacrée et profane, terminant par « la peinture des choses inanimées » pour définir le moins noble des sujets, avec les peintres de fleurs et de fruits.
Le terme global pour définir tout ce que comportait ce dernier genre n’était toujours pas trouvé et, jusque‑là, seule l’expression « cose naturali » ou « choses naturelles » avait été utilisée.
On évoquait des pièces de fleurs, de fruits, de poissons et, depuis le début du XVIIe siècle, de « banquets » ou de pièces de repas servis. Dans certains pays, Pays‑Bas, Allemagne et pays anglo‑saxons, on employait l’expression de « nature immobile » et en France « vie silencieuse » (en ancien français « vie coye »). Mais un siècle plus tard, on remplacera coy (c’est‑à‑dire immobile, calme, paisible, tranquille ou silencieuse) par morte – pour « nature morte » – expression attestée en 1736.
Le terme de la nature morte qui a prévalu dans toutes les langues latines a probablement été inventé en France, dans les cercles académiques et anti‑baroques. Car en étendant l’idée de ce qui est immobile à celle de ce qui est mort, il comporte incontestablement une nuance de mépris.
Le critique, architecte et historiographe français André Félibien écrit donc en 1667 dans la préface aux Conférences de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture : « Celui qui peint des animaux vivants est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes et sans mouvement ».
Si les natures mortes montrent les plaisirs de la vie, les vanités en explorent un autre versant, celui de l’abandon qui est le deuxième sens de l’offrande : par le sacrifice, on renonce à une chose de valeur. Elle propose donc une réflexion sur la nature éphémère de nos vies, incitant à considérer le sens de nos actions et de nos passions dans le théâtre de la condition humaine.
Les vanités
Le terme « vanité » englobe deux significations. D’une part, il fait référence à l’hubris, à l’orgueil et à la fatuité. D’autre part, il provient du latin « vanitas », signifiant ce qui est creux, vide ou illusoire, soulignant le caractère futile et éphémère de ce qui est représenté. Les vanités rappellent la condition mortelle de l’être humain et incitent à méditer sur la nature passagère de la vie.
Par le choix de ses éléments symboliques, le tableau explore le thème classique d’une vanité. Il en adopte les conventions et en révèle facettes, explorant les thèmes de la vacuité des plaisirs terrestres et de la fragilité des choses matérielles, dont l’association renforce l’évocation du caractère éphémère de l’existence.
Car si les natures mortes dépeignent de manière allégorique les plaisirs de la vie, la vanité, sous‑genre hautement symbolique de la nature morte qui connu son apogée au XVIIe siècle à l’époque baroque, représente le passage du temps et la vacuité des passions humaines.
Cannibale Bacchanales se distingue par sa taille imposante, qui s’oppose aux dimensions habituellement modestes des vanités, paradoxalement pour accentuer le sentiment d’impermanence et inviter à une introspection sur la fragilité de l’existence, à une prise de conscience du caractère périssable de toutes choses.
Le regard porte une vue plongeante sur la composition. À travers la disposition minutieuse des éléments symboliques, l’œuvre évoque diverses facettes de la vanité. Bijoux, victuailles, fruits, poisson et légumineuses, bouteille et verre de vin, qui représentent la futilité des plaisirs éphémères. Tandis qu’un second groupe d’éléments explore la nature transitoire de la vie humaine par la présence de restes, d’une tête dépouillée de son corps, ainsi que la mesure du temps par le filament d’une ampoule électrique et une grappe de raisins en décomposition.
La scène du tableau semble présenter une perspective à un seul point de fuite, bien que factuellement reposant sur plusieurs points décalés sur l’axe des ordonnées. Cette technique vise à écraser la profondeur liée à la perspective en rapprochant le fond du sujet – sujet ayant pour environnement une chapelle dominée par un Bouc à l’Enfant, en opposition à la Vierge à l’Enfant.
Cette figure de Bouc à l’Enfant est‑elle peut‑être ici pour contrebalancer protestantisme et jansénisme moralisateur propres aux vanités.
Encre de Chine et encre à l’alcool sur papier coton 300g/m2 marouflé sur toile de lin
Une peinture qui se révèle avec des lunettes rouge et bleu
Technique de création d’image développée dès le XIXe siècle, l’anaglyphe produit une sensation de relief sur une surface plane.
Fondé sur la notion de stéréoscopie, son principe repose sur la manière dont le cerveau interprète les informations visuelles différenciées provenant de chaque œil pour les synthétiser en une seule et même image en trois dimensions.
Le processus de création d’un anaglyphe implique la reconstitution stéréoscopique de deux images identiques d’une scène, prises à partir de positions légèrement différentes sur l’axe des abscisses, comme pour l’alignement de nos yeux. Cette technique consiste alors à superposer les images gauche et droite au sein d’une même image en utilisant des couleurs complémentaires, généralement le rouge et le cyan, mélange de bleu et de vert.
Mais contrairement à la stéréoscopie qui présente deux images distinctes légèrement décalées, une pour chaque œil, généralement vues à travers des jumelles, l’anaglyphe sépare les vues gauche et droite sur une seule image justement par l’utilisation des couleurs complémentaires.
Des lunettes 3D spécifiques, munies de filtres correspondant à ces couleurs, sont nécessaires pour révéler l’effet de trois dimensions. Les figures composant l’image, en rouge et en cyan, disparaissent devant les couleurs des filtres respectifs (rouge devant l’œil gauche, cyan devant l’œil droit).
Lors de l’observation de l’image à travers ces lunettes, chaque œil ne perçoit que le motif de la couleur opposée, créant ainsi l’illusion de relief et de profondeur. C’est le décalage horizontal entre les motifs rouges et cyan, combiné au port des lunettes, qui produit cette perception tridimensionnelle. Il est impératif de porter des lunettes équipées de filtres rouge et cyan afin de révéler l’image et d’en apprécier le relief.
Car c’est la répétition des motifs composant l’image, en rouge et en cyan avec un léger décalage horizontal, qui simule sur une surface plane le décalage naturel entre nos yeux, essentiel à la vision binoculaire, et qui permet la perception du relief et l’estimation des distances.
Ainsi, par le biais de simples lunettes, les anaglyphes proposent une expérience visuelle immersive.